• Pas de liberté pour les ennemis de la liberté

    Pas de liberté pour les ennemis de la liberté

    De quoi a-t-on besoin pour disqualifier le vainqueur d’une élection ? De médias aux ordres, de fonctionnaires zélés, d’un climat de suspicion entretenu plusieurs mois à l’avance, et d’une rhétorique habile pour délégitimer l’adversaire.

    Les foucades du citoyen Valls sur le prétendu antirépublicanisme du FN ont fait le « buzz », comme on dit aujourd’hui. Néanmoins, elles ont vite été rangées par l’ensemble des observateurs politiques dans la catégorie de ces escarmouches verbales d’avant-scrutin, généralement sans lendemain, auxquelles nous sommes habitués depuis que le FN est devenu une machine électorale de première force.

    Pourtant, clamer haut et fort que « le FN n’est pas un parti républicain », qu’il représente un « immense danger » pour la France et qu’il faut le « combattre jusqu’au bout » n’est pas anodin. Bien au contraire, ces propos pris dans leur sens littéral – et on ne voit pas pourquoi il n’en serait pas ainsi – sont d’une violence inouïe et préfigurent des heures sombres pour la démocratie.

    Chacun se souvient de cet aphorisme superbe du citoyen Saint-Just « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » » qui peut aussi bien vouloir dire que la République ne peut appartenir aux ennemis de la République. Saint-Just qui, pour justifier la Terreur, disait aussi « Jamais la Terreur ne doit être dirigée contre le peuple, mais contre ses seuls ennemis ! », ce qui revient à légaliser le crime politique puisque c’est l’État seul qui s’arroge le droit de désigner qui est un ennemi et qui ne l’est pas. Cette référence à la Convention, je l’avais déjà utilisée une première fois lorsque j’avais dressé un parallèle entre les funérailles de Marat et la marche du 11 janvier dernier. Plus que jamais, elle est d’actualité. En 1793 comme aujourd’hui, l’heure est à une formidable radicalisation idéologique, avec d’un côté le camp prétendument républicain et, de l’autre, ses ennemis ou plutôt ceux désignés comme tels, d’autorité.

    Si les mots ont un sens et si la détermination de ceux qui les prononcent ne peut être mise en doute, alors il y a lieu de redouter que le pouvoir empêchera par tous les moyens l’accession au pouvoir du Front national, même si celui-ci remporte les élections. Une hypothèse qui – il faut le rappeler – n’est pas si invraisemblable qu’il n’y paraît au premier abord puisqu’en 2005, le verdict du référendum sur la Constitution européenne avait été splendidement ignoré par le gouvernement en place.

    De quoi a-t-on besoin pour disqualifier le vainqueur d’une élection ? De pas grand-chose, à dire vrai : de médias aux ordres, de fonctionnaires zélés, d’un climat de suspicion savamment entretenu plusieurs mois à l’avance, et surtout d’une rhétorique habile pour délégitimer l’adversaire. Par exemple, des juristes particulièrement retors pourraient arguer que prôner la sortie de l’euro est un manquement fondamental aux lois de la République ou bien que la préférence nationale est incompatible avec les valeurs de la République et, partant, disqualifier le Front national comme parti antirépublicain. Daladier n’avait-il pas dissous le Parti communiste en septembre 1939 sur la seule base juridique, parfaitement contestable, de la signature du pacte germano-soviétique ?

    Saint-Just disais aussi : « La patrie doit être purgée de ses ennemis déclarés. » En quoi les propos de Manuel Valls diffèrent-ils de ceux que prononça jadis celui que les Italiens ont surnommé l’angelo della morte ? Franchement, en rien.

    Christophe Servan


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