• Macron, Le Pen, Dupont-Aignan : tous gaullistes ?

    Macron, Le Pen, Dupont-Aignan : tous gaullistes ?
     

    « L’Europe ! l’Europe ! L’Europe ! » 

    On se souvient de cette interview de 1965. Un De Gaulle très en verve rabaissait les fervents partisans de la CEE au rang de cabris sautillants sur leurs chaises. Si la question de l’Europe demeure au premier plan des présidentielles, les cabris que sont nos candidats de 2017 n’en peuvent plus de se réclamer du général. A la moindre occasion, c’est à celui ou celle qui criera le plus fort : « De Gaulle ! De Gaulle ! De Gaulle ! » Que signifie cette gaullâtrie aiguë et unanime ?  De quel De Gaulle est-il question ? Savent-ils même de quoi ils parlent en proclamant le nom de l’inventeur de la démocratie démonarque ? 

    Bien sûr il y a cette phrase de Malraux : « tout le monde a été, est ou sera gaulliste ». Il eût été plus pertinent de dire « a prétendu, prétend ou prétendra ». La formule est en soi très gaullienne en ce sens qu’elle manie habilement le langage, l’usage du futur ouvrant la porte à la survenue de ce qui ne s’est jamais encore entièrement produit. J’y reviendrai en guise de conclusion, mais en ce temps électoral où la politique n’est que discours, on peut se demander si le gaullisme n’est pas avant tout une posture de communication, en ce sens que c’est dans sa virtuosité verbale et son à-propos que De Gaulle a fait montre d’une indéfectible continuité.

    Il est d’usage pour les historiens, de distinguer trois grandes périodes dans le gaullisme :

    • le gaullisme de guerre, qui a construit la légende ;
    • le gaullisme d’opposition, qui a développé une doctrine institutionnelle ;
    • le gaullisme au pouvoir, qui a instauré une forme de monarchie républicaine.

    De ces trois périodes, la deuxième est la moins connue. Elle correspond à ce qu’on a appelé la traversée du désert, terme quelque peu épique qui ne s’accorde guère à la réalité dans la mesure où c’est à cette époque, entre 1946 et 1958, qu’un véritable mouvement gaulliste s’est formé, sous le contrôle, discret mais ferme d’un général bien décidé à revenir au pouvoir au moment opportun.

    Le discours de Bayeux de juin 1946 a jeté les bases de ce qui allait devenir la Constitution de la 1958 et c’est à peu près tout ce que l’on retient de cette période.

    Serait-ce là qu’il faudrait chercher la marque du gaullisme, permettant d’identifier un « vrai » gaulliste, de le distinguer du bonimenteur qui se réclame par opportunisme des idées du général ?

    Première réserve, tout comme les mesures prises entre septembre 44 et janvier 1946, la « doctrine » de Bayeux n’est pas véritablement le fruit des réflexions de De Gaulle. Avant et durant la guerre, si De Gaulle a fréquenté cercles et personnalités politiques, il s’est gardé de s’engager et n’a rien écrit qui fût annonciateur d’une vision alternative à la IIIème République. Il s’est surtout intéressé aux questions militaires, partisan d’une modernisation de l’armement et d’une façon d’utiliser les blindés inventée non par lui mais par les Allemands. Parallèlement, dans son fameux ouvrage Au Fil de l’Epée, il a disserté sur les ressorts de l’autorité, sur le modèle du chef et la façon dont celui-ci commande avec efficacité. Mais il n’est pas question de réforme institutionnelle ni sociale.

    L’inspirateur injustement méconnu de mesures prises dès 1944 comme le droit de vote des femmes, de l’association capital-travail et surtout du cadre constitutionnel exprimé à Bayeux est le Lt colonel de La Rocque, chef de la Ligue des Croix de Feu devenue Parti Social Français en 1936. L’essentiel de sa « doctrine » fut publié en 1934 dans son ouvrage Service Public. Critique virulent du système électoraliste de la IIIe République, La Rocque se voulait également au-delà du clivage droite-gauche, très anti-communiste d’un côté et en faveur d’une économie dirigiste et sociale de l’autre. Après-guerre, on retrouvera ces éléments dans les thèses majeures défendues par le mouvement gaulliste durant les années cinquante.

    Durant la période suivante, celle de De Gaulle monarque républicain, le gaullisme a subi une nette inflexion.

    D’une part l’idéal de grandeur nationale a vite été bousculé et la transformation de l’Empire colonial en une Communauté mettant la métropole à égalité avec ses possessions d’outre-mer ne verra jamais le jour, bien qu’approuvée massivement lors du référendum de sept. 58 instituant la Ve République.

    Le revirement soudain et inattendu de De Gaulle à ce sujet a provoqué une fracture dans le camp gaulliste. Le combat pour la défense de l’Algérie française qui avait mobilisé les gaullistes au plus haut point, leur permettant de faire revenir De Gaulle au pouvoir, devint très vite synonyme de rejet du général pour la minorité qui n’accepta pas ce qu’elle considérait comme une trahison.

    Qui était vrai gaulliste alors ? Ceux qui suivaient leur chef plus par obéissance aveugle que par conviction, quand bien ils tentaient de voir dans cette inflexion la marque d’un pragmatisme de haut vol bien qu’hermétique pour la plupart. Ou étaient-ce ceux, à l’image de leur chef de 1940, qui refusaient d’obéir.

    Le rôle du Président 

    L’évolution de De Gaulle ne se limita pas à la question de la Communauté. La Constitution de 1958 avait assigné au Président un rôle fort mais néanmoins distinct de celui du Premier ministre. C’est ce dernier qui était censé définir et mener la politique du gouvernement en concertation avec les ministres et le Président. Dans les faits, cela ne se passa jamais ainsi. De Gaulle régentait tout d’une main de fer, avec un Debré manquant d’estomac puis un Pompidou qui lui devait d’exister. Le référendum d’octobre 62, très contesté quant à sa licéité, permit d’étayer la pratique monarchique de la Constitution avec le passage à l’élection du Président au suffrage universel. Et puis il y eut ce qu’on a appelé la constitution de 1964, exprimée lors d’une déclaration du Chef de l’Etat. Il donna une interprétation très singulière des textes, affirmant encore plus le pouvoir du Président.

    Là encore, qui est gaulliste ? Celui qui estime que la Constitution originelle avait défini un partage équilibré de la gouvernance, conférant au Président un rôle de garant et d’arbitre ? Ou bien celui qui, « parce que c’était De Gaulle », se satisfait de ce dévoiement vers une pratique monarchique ?

    De fait, y-compris celui qui dénonça le « coup d’état permanent », tous les successeurs du général ont gouverné selon la constitution virtuelle de 1964, hormis durant les trois périodes de cohabitation. Le gaullisme de nos actuels candidats ne semble pas différer à cet égard, tant la soif du pouvoir est grande, tant la démocratie est devenue une machinerie manipulatoire et confiscatoire de la souveraineté populaire.

    Autre grand thème du gaullisme au pouvoir, celui de l’atome. De Gaulle est l’homme de la bombe atomique française et le promoteur de l’énergie nucléaire.

    La bombe fait l’objet d’un consensus. Elle fut et demeure présentée comme la garantie majeure de notre souveraineté. Pourtant, l’argumentation se heurte à un autre aspect de la politique gaullienne, le rapprochement avec la Russie (De Gaulle parlait ainsi de l’URSS).

    La bombe fut conçue en pleine guerre froide, temps où le seul ennemi pouvant nous menacer militairement était l’Union soviétique. Or De Gaulle, déjà durant la guerre, n’a eu de cesse de rechercher de bons rapports avec nos anciens alliés russes, ce qui ne manqua pas d’irriter Britanniques et Américains. Dans une telle perspective diplomatique, que justifiait les investissements considérables dédiés à une bombe que nous n’avions aucune envie, aucune raison de faire tirer sur les Russes ? La grandeur nationale, répondraient en chœur nos candidats « gaullistes ». Sur ce point en effet, pas de variante, tous restent attachés à cette arme terrifiante qui nous coûte cinq milliards par an depuis 56 ans.

    Pareillement pour le nucléaire. Macron, Le Pen, Dupont-Aignan, aucun d’eux ne remet en cause le recours à cette source d’énergie si dangereuse et polluante.

    L’atome est donc un point fort et clair d’appartenance au gaullisme. Sur ce plan au moins, nos candidats parlent vrai.

    Mais sur l’Europe, évoqué à cris de cabri, au début de cet article ?

    Macron ne veut rien changer. On garde l’euro, on garde les institutions. En revanche, le nouveau duo Le Pen – Dupont-Aignan remet en cause la mécanique monétaire en vigueur, avec ce concept dual de monnaie courante / monnaie commune, et plaide pour une transformation des institutions actuelles de l’UE dans un esprit souverainiste, qui pourrait déboucher sur un « frexit » si les négociations avec les états membres n’aboutissaient pas

    Où sur ce point est le gaullisme ? Qui peut à juste titre s’en réclamer ?

    Macron et les partisans de la forme actuelle des institutions de l’UE pourront arguer que De Gaulle, pour attaché qu’il fut à la pleine indépendance nationale, n’a pas stoppé le processus de construction européenne. L’épisode de la Chaise Vide aurait pu aboutir à une sortie de la France de la CEE, ce qui aurait brisé l’édifice européen en sa toute jeunesse. De Gaulle, ronchon, méfiant à l’égard des Anglais, hostile à l’idée d’intégration, de fédéralisme, est tout de même resté dans l’Europe. Et pragmatique comme il aimait le rappeler à chaque occasion, insistant sur les « réalités » qui doivent orienter la politique, l’on peut imaginer De Gaulle aujourd’hui, mitiger sa fermeté pour peu à peu s’ouvrir à une communauté davantage en phase avec le processus très « réel » de mondialisation.

    En revanche, Marine, comme son potentiel futur premier ministre, ne voient pas du tout le général se satisfaire de la situation à laquelle nous sommes arrivés. Soucieux avant tout de la souveraineté nationale, de la place majeure de la France dans le concert des nations, comment De Gaulle aurait pu accepter l’abolition des frontières, la disparition du franc, l’existence d’un droit européen supranational et la bureaucratie qui va avec ?

    Les migrants

    De la même manière, notre nouveau duo n’hésitera-t-il pas à brandir celui qui fut sagesse tout autant que patriotisme pour fustiger le laxisme à l’égard des migrants. Comment le général accepterait ce nouveau mode d’immigration sauvage ? Comment pourrait-il rester sans rien faire face à un tel « tohubohu », ne rien faire quand des zones entières du territoire sont dépossédées de leur tranquillité par une « chienlit » prête à tout pour gagner la perfide Albion ?

    A cela, Macron pourrait répondre qu’en 1963, un rapport d’experts commandé par l’Elysée avait mis en garde l’Etat contre le recours massif de main d’ouvre nord-africaine réclamé par les constructeurs automobiles. Mais le jeune conseiller Balladur chargé d’instruire le dossier passa outre : production à bas coût d’abord ! De Gaulle aurait pu trancher en sens contraire…

    L’indépendance diplomatique

    Dans une dissertation frisant parfois l’hagiographie à la Mauriac (cf sa biographie de De Gaulle), l’ex futur homme providentiel Asselineau démontre à coups de qualificatifs guerriers - « fin tacticien », « génial stratège militaire », « grand soldat avisé » etc. - que le général ne saurait être accusé de faiblesse face à la construction européenne. De Gaulle aurait eu en tête une Europe française qu’il a manqué de peu d’instaurer – il n’est pas dit comment – grâce à sa ténacité et au succès médiatique de ses déplacements et actions diplomatiques : reconnaissance de la Chine Populaire, visites en URSS, au Mexique, au Canada etc. De Gaulle a gêné, a fait les unes de la presse internationale à chacun de ses déplacements, à chacune de ses déclarations mais concrètement, quel retentissement cela a-t-il eu au plan concret des échanges commerciaux ? Nos voisins plus discrets, Allemagne, Italie, Royaume Uni, n’ont pas eu de De Gaulle et cependant, pour ne prendre que l’exemple des échanges avec la Russie, ils nous dépassent.                                           « Vive le Québec Libre ! » fait partie des moments anthologiques du discours gaullien. Le Québec est-il devenu indépendant pour autant ? Fait-il plus d’affaires avec nous qu’avec son voisin les USA ?

    Une fois encore, où est le gaullisme en diplomatie ? Nos candidats répondront en chœur : pragmatisme et défense de la souveraineté. Est-ce propre au gaullisme ? N’est-ce pas plutôt la raison d’être de toute diplomatie ?

    Pourquoi De Gaulle

    En vérité et nous en venons à ce qui explique en partie ce regain de gaullisme, proche d’une ridicule « gaullâtrie », ce qui fascine nos candidats, les trois concernés par le 2e tour, mais aussi Mélenchon et Asselineau : le génie du verbe et de la communication dont a fait preuve le général tout au long de sa carrière, s’améliorant au fil des ans avant de péricliter assez brusquement lors de son dernier « coup », le référendum de 1969. Son sens aigu de la formule, ses raccourcis hermétiques – « un certain sens de la France » - son aplomb pour démontrer aujourd’hui le contraire de ce dont il avait convaincu son auditoire la veille, sa posture royale faisant de son physique un instrument presque rituel, tel le grand orgue qui aurait fait le contrepoint d’une homélie de Bossuet à Notre Dame. L’ombre du grand virtuose de la politique française d’après-guerre ne laisse donc de planer. Et en ces temps où la caste politicienne est parvenue à s’identifier à sa caricature, le recours à De Gaulle est perçu, faut-il croire, comme un précieux secours.

    Dire « comme disait le général » ou « moi qui suis gaulliste » c’est préparer cérémonieusement son auditoire de paroles frisant le sacré, c’est la clochette du servant de messe qui annonce le mémorial de la cène, la consécration du pain et du vin. Et cela peut aller plus loin encore, mais au prix du ridicule : Mélenchon lyrique, place de la République, qui se compare lui-même à De Gaulle ou Macron les bras en V qui vocifère comme un goret qu’on égorge, piteusement applaudi sur commande tweetée …

    Mais il y a, me semble-t-il, une explication plus prosaïque, plus pragmatique et donc pas moins gaullienne, à cette gaullomania qui restera une des marques des présidentielles de 2017.

    Plus gaulliste que moi tu meures

    A la suite de Napoléon, De Gaulle est devenu le personnage historique préféré des Français. De Gaulle lui-même aurait eu cette phrase sur Bastien-Thiry, dont il avait refusé la grâce : « Les Français aiment les martyrs et ce Bastien-Thiry mérite d’en être un. »

    Sa déroute précipitée, moins d’un an après son incroyable retournement de situation de la fin mai 1968, a parachevé le mythe De Gaulle. Sans Waterloo puis Ste Hélène, il aurait manqué beaucoup pour que se construise la légende napoléonienne.

    C’est ainsi, notre peuple a conservé cette part de romantisme, ce sens de l’épopée. Nos candidats, conscients du peu qu’ils ont à offrir d’eux-mêmes pour faire rêver les électeurs, ont donc intérêt à se parer du seul ornement royal que tolère la République. Le temps d’un mot, d’une phrase, ils coiffent le képi bi-étoilé et comme chacun d’eux en fait autant, l’effet s’annule. Somme faite de toutes choses, et pour paraphraser Coluche dans son sketch du Schmilblick « j’i suis autant gaulliste que toi, s’il ton pli ».

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/macron-le-pen-dupont-aignan-tous-192702


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