• M COMME MASTER, M COMME MALTHUSIANISME

    M COMME MASTER, M COMME MALTHUSIANISME

     Par :Jean Claude Martinez

    M COMME MASTER, M COMME MALTHUSIANISME

    Le 4 Octobre 2016. Un accord vient d’être trouvé, entre les universités et les syndicats étudiants, pour résoudre le problème fabriqué de toute pièce de l’admission en master. De quoi s’agit-il ?

    Des décennies durant, sinon des siècles durant, tout étudiant pouvait suivre tout le parcours universitaire jusqu’à un doctorat, couronné par une thèse et le titre de docteur. Cela fonctionnait normalement dans une communauté universitaire où une seule idée régnait en maître : « au banquet de l’intelligence et des savoirs il y a de la place pour tous les étudiants ».

    Depuis deux décennies toutefois, comme venu des forêts de l’économie anglo-saxonne et ayant déjà contaminé nombre de décideurs politiques d’Europe et du monde, un virus idéologique s’est transmis aux dirigeants universitaires. Avec un tableau neurologique au niveau de l’aire de Broca du langage. Les contaminés prononcent en effet toujours les mêmes mots : « performance », « rentabilité », « marché », « coût », résultat », « sélection ».

    Cette pathologie, apparemment nouvelle, n’est en réalité que l’expression linguistique d’une affection plus générale et plus ancienne, puisque observée pour la première fois au XVIIIème siècle, chez un pasteur anglais du nom de Malthus. D’où le nom de malthusianisme, pour ce syndrome , appelé parfois aussi économisme.

    Dans le monde des universités, françaises, européennes, sinon du monde, cette affection s’est cristallisée à Bac +4. C’est à dire au niveau de ce que l’on appelait en France les DEA et DESS, au Maroc les CES, et maintenant les masters, depuis la création en 2010 de l’espace européen de l’enseignement supérieur , constitué de 47 Etats , Turquie et Russie comprise, plus l’Afrique . Tout cela au terme d’un processus, dit de Bologne, amorcé après la déclaration de la Sorbonne du 25 mai 1998.

    Concrètement, un étudiant sorti de licence, après 3 années , continuait normalement une 4ème année, connue sous le nom de master 1. Ensuite il pouvait faire une 5ème année, appelée master 2 et après, s’il le souhaitait, il commençait une thèse lui donnant le titre de docteur.

    Sous des prétextes fallacieux, depuis quelques années des universitaires et des universités se sont mis à parsemer d’obstacles ce parcours jusqu’ici naturel. Par exemple, un chercheur devra faire sa thèse de droit en 3 ans. Pourquoi 3 ans ? Pourquoi pas 4, pourquoi pas 2 ? La raison objective est aussi inexistante que celle du plafond révélé des 3% de PIB de déficit budgétaire autorisé par le traité de Maastricht. Ce chiffre est stupide. Le Nobel Stiglitz le rappelle encore dans son dernier livre (Comment la monnaie unique menace l’avenir de

    l’ Europe, Les liens qui libèrent , 2016) .Mais c’est ainsi.

    Pour les masters 2, des directeurs les dirigeant se sont mis à mettre des sélections. Sur quelles bases ? L’examen des dossiers ? Par qui ? Par le directeur du master seul. Sur la base de quels critères ? Critère inconnu, non précisé, non objectivé. Certes en tenant compte par exemple de mentions à la licence, mais pas seulement. L’air du temps, le « mainstream », le subjectif, voire l’orgueil, sont aussi entrés en ligne de compte .

    Je donne un exemple. De 1983 à 2000, je donne l’enseignement de droit fiscal général et j’anime les séminaires de doctorat du master Finances publiques et fiscalité de l’Université Paris 2. Depuis sa fondation, il ne comporte aucune barrière à l’entrée. Tous les vendredi soir de 19H à 22H et les samedi matin de 9h à 11h, dix sept ans durant, 90 à 120 étudiants suivent annuellement ce master. C’est même un rendez vous fiscal. Chaque semaine des anciens doctorants, devenus avocats, directeurs d’administration fiscale, secrétaire général de l’Organisation mondiale des douanes, professeurs, au Maroc, au Mexique, en Chine, de passage à Paris, viennent librement à ces vendredi et samedi de la fiscalité. Il y a même, des années durant , Maurice Lauré , rien moins que l’inventeur de la TVA.

    Au début de la décennie 2000, un nouveau directeur de master, décide, seul, de mettre son filtre , son écluse. Il ne recrute plus qu’une trentaine d’étudiants par an. Pourquoi ? Au nom de la sélection, justifiée par une mystérieuse élévation du niveau. Résultat : dans une salle où la veille 120 étudiants cherchaient, innovaient, pour le même coût de lumière, de chauffage et d’enseignants il n’ y en aura plus qu’une trentaine. En final, en 2009, il y en aura même 0, puisque la sélection conduit dans sa logique extrême à ne sélectionner forcément que le sélectionneur. Lui seul étant à son niveau.

    Après les Restos, les masters du cœur…

    Et nous voilà au cœur de la sélection, avec ses non dits, ses tabous voire sa corruption. Que va t il se passer en effet, dans le cadre du nouvel accord 2016 sur les masters. Quatre dérives.

    Dérive 1 vers le pharisianisme. En novembre 2016, une loi va proclamer le droit pour tout étudiant avec une licence à poursuivre sa vie étudiante. Comme la loi Veil de 1976 avait proclamé en préambule aussi le droit à la vie, comme les lois Hollande, sur l’organisation territoriale ont proclamé encore le droit à la vie pour les communes, avant d’en faire disparaître des centaines par les fusions sous chantage financier.

    Dérive 2 vers des filières masters des pauvres

    Les étudiants vont donc avoir le droit reconnu de continuer leurs études et en parallèle les universités vont avoir le droit de les sélectionner , cette fois-ci officiellement. Sur dossier, sur concours, sur critères de leurs choix. Dans le conflit de ces deux droits, lequel va l’emporter ? Evidemment le droit à la sélection. D’ailleurs l’accord d’octobre 2016 prévoit qu’un décret organisera le sort des étudiants recalés, c’est à dire privés du doit de continuer leurs études. Ils auront un recours possible auprès du recteur.

    Mais de juillet à septembre, que pourra faire le recteur pour ces étudiants qui ont un droit au master mais qui ont été refusé en master ? Il les fera inscrire d’office en master ? Evidemment que non. Où iront – ils alors ? Dans un master de refugiés à Calais ?

    Le recteur ne pourra que rechercher les quelques places de master disponibles en France et répartir les recalés comme des syriens étudiants à caser dans des universités d’accueil ou dans des ersatz de master. Qui seront évidemment des places pour les pauvres. Des sortes de « masters du cœur » que les Coluche recteurs dégoteront sur la carte universitaire du pauvre.

    Les quelques recalés riches partiront à la Catho rue d’Assas , de Lille ou d’ailleurs, en Roumanie , Belgique , Algérie, comme le font déjà les recalés du numerus clausus de médecine. Mais la masse des recalés pauvres, constituée des derniers survivants des étudiants fils et filles d’ouvriers ou de petits employés, qui avaient survécus dans la précarité aux 3 années de licence, vont avoir droit à des sortes de masters professionnels d’universités de banlieues, comme les jeunes de Creil ont aussi le droit d’aller au lycée, mais qui n’est pas celui que fréquentent les petits sélectionnés d’ Henri IV ou d’ Hélène Boucher.

    Que va t il alors se passer ? La vérité va très vite se diffuser et chacun essaiera de sauver sa peau comme il pourra. Avec les seuls moyens à la disposition des pauvres acculés dans ces cas là. Comme on fait déjà dans le monde de la GPA pour survivre ou du cobaye pour les nouveaux médicaments des laboratoires, quelques recalés iront sauter l’obstacle, avec leurs moyens du bord. Comme certains de leurs camarades d’universités d’Afrique ou du Mexique où j’ai enseigné, le font. La loi Belkacem de sélection amènera de la corruption. Au degré de marginalité que le tabou sinon l’omerta ne diront pas.

    Sélection – corruption ?

    Dérive 3 vers de la corruption. Madame la ministre sait que monsieur le président Laroussi Oueslati, de l’université de Toulon, a été condamné pour corruption dans un trafic d’inscriptions d’étudiants chinois. A ce niveau bien sûr c’est marginal. Tous les petits coups de pouce du favoritisme artisanal et sympathique, inhérents à la condition humaine et aux relations maître et disciples, ne font pas un risque sérieux de grande échelle de corruption.

    Avec la sélection officialisée qui va donner au directeur de master un droit de vie ou de mort à la poursuite des études doctorales, c’est la mise en place d’un pouvoir et depuis Montesquieu , on sait que « toute personne qui a du pouvoir est portée à en abuser ». Aux rapporteurs, de l’Assemblée nationale et du Sénat , qui vont rapporter sur le projet de loi instituant cette sélection en master, peut être faut il leur suggérer quelques brefs voyages d’information et de droit comparé dans des universités d’autres continents . Ils y découvriront comment des étudiantes et des étudiants s’adaptent pour « flexibiliser » la sélection et faire preuve de l’esprit de résilience cher à Boris Cyrulnik.

    C’est qu’avec la sélection, au nom de la performance et de la rentabilisation des moyens, chacun des acteurs, sélectionneur et sélectionné, doit rentabiliser sa situation . Et c’est cette quête de la rentabilité qui porte en germe du risque naturel de corruption.

    Mais il y a pire, avec le risque d’une quatrième dérive vers la réduction du nombre des chercheurs étrangers. Dans la sélection évidemment, l’étudiant étranger, colombien, thailandais, chilien, va subir le handicap de langue. Trois années durant, il aura ramé. Surtout avec l’angoisse chaque année de son titre de séjour à renouveler. Parce qu’en France si tout clandestin a des droits, à l’ AME notamment, l’étudiant entré avec papier et bien plus tracassé qu’un fiché S . ll suffit de se rappeler ce que la circulaire Guéant à fait vivre avant 2012 aux chercheurs étrangers.

    Le dossier de l’étudiant étranger sera probablement moins bon. A la sélection il sera donc moins bien placé. De proche en proche, on risque de voir alors l’université se mono nationaliser et s’appauvrir en réduisant son champ de recrutement. Déjà, la suppression sotte des DSU , qui créaient une passerelle par où des centaines d’étudiants étrangers sont passés , comme un sas pour accéder au master , nous a privé , dans les facultés de droit, de Chinois, de latinos, d’indiens. Avec une sélection institutionnalisée , on va encore se priver d’un supplément d’étudiants amenant à leurs camarades français l’ouverture du champ visuel.

    La sélection contre la francophonie

    Et s’il y a une sélection par concours, on verra alors une autre dérive vers la désafricanisation. Il faut faire confiance en effet au « mainstream culturel » des universitaires . Pour sélectionner, ils vont en effet caricaturer leurs références à peine secrètes : Harvard, Columbia , MIT, Chicago et autres temples de la sélection. Des épreuves, écrites , orales, seront en anglais . Comme ont le fait déjà dès la première année. Sans parler des écoles d’avocat où il y a aussi de l’anglais. Pour être bien sûr que le futur avocat dira comme au cinéma : « exception votre honneur… ».

    A ce jeu là, évidemment que les étudiants d’Afrique francophone vont être défavorisés et peu à eu éliminés . La sélection va conduire en quelques décennies à l’affaiblissement de la francophonie, puisque les élites, de Rabat à Kinshasa , trouveront plus simple d’aller apprendre à se sélectionner en anglais dans une université d’outre atlantique, que dans une caricature française d’université américaine.

    Voilà où va conduire la sélection en master. Si on en doutait, il suffit de voir qu’elle est soutenue par tous les candidats de la primaire de novembre . Or quand on sait ce que ces gens là ont fait, pendant qu’ils gouvernaient, pour le déclin du rayonnement français, s’ils ont choisi la sélection en master, il faut leur faire confiance. Ce n’est probablement pas bon pour la France


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :