• Lettre à Macron

     NI OUBLI ,NI PARDON ! 
     
    Gérard ROSENZWEIG

    Simone Gonin‎Oran

      Monsieur Macron,
     J’ai longuement réfléchi avant de vous adresser ce courrier. Il est tellement difficile de reconnaître ses crimes… Mais votre remarquable, lucide, mesurée et sage intervention d’Alger a réussi à m’en donner le courage.
     Et voilà, grâce à vous et à cette extrême rigueur qui vous honore, je me suis enfin décidé. Mais par quel bout commencer ? Car il ne s’agit pas de reconnaître un simple et banal petit crime de rien du tout, mais bien hélas de confesser une monstrueuse série de crimes. Crimes contre l’humanité, qui plus est ! Et qui s’étendent, comme vous l’avez pressenti, sur plusieurs générations…
     Je trouve, entre parenthèses, que votre déclaration télévisée et mondialement diffusée était d’ailleurs bien timide. « Crimes contre l’humanité », « barbarie », peut-être que, lorsque l’on a décidé de salir sa propre patrie sur une terre étrangère, faut-il encore prendre quelques gants.
     Mais au fond je pense que vous avez bien agi et qu’ainsi, par ces mots odieux dont vous ne pourrez plus jamais vous détacher et qui désormais vous poursuivront, vous êtes parvenu à payer le juste prix de ces dizaines de milliers de voix dont vous allez avoir grand besoin dans quelques semaines. Chacun reçoit les trente deniers qu’il peut, car il n’est pas de petit judas… Mais pour le grand politicien que vous êtes, cela n’est que broutille.
     Venons-en maintenant à mes propres aveux. Vous l’avez compris, je fais partie de ce million de Français d’Algérie qui , les mains rouges du sang de nos esclaves musulmans, ont pris en 1962 le juste chemin de l’exil. Certes, ma culpabilité est presque mineure par rapport à celle de mes ancêtres ; je n’avais alors que vingt ans. Mais rassurez-vous, conscient de ma prédestination et du châtiment qui s’approchait, j’ai mis les bouchées doubles.
     J’habitais dans le faubourg d’Eckmühl, quartier très populaire d’Oran. Imaginez un peu : Il y avait en ce petit bout de France à peu près autant de représentants de chacune des trois communautés (comme l’on dit aujourd’hui). Imaginez l’horreur : on jouait ensemble, et souvent même on était copains.
     Pis encore : on fréquentait les mêmes écoles et les mêmes classes ! N’est-ce pas là le plus grand des crimes contre l’humanité qui se puisse rêver ? Mais vous avez certainement compris que si nous cohabitions ainsi, c’était pour humilier un peu plus les fils de nos esclaves.
     Mon père est né aussi à Oran. Porté par sa vocation de futur criminel contre l’humanité, il commença à travailler à 14 ans, et je vous passe dans quelles conditions. Après son retour d’une seconde guerre mondiale à laquelle il donna volontairement quelques années de sa courte vie, c’est à ma naissance qu’il entra comme ouvrier ajusteur-mécanicien à l’usine Berliet d’Oran, et comme vous l’imaginez, pour un salaire royal.
     Mon infâme exploiteur de père n’hésita pas à vivre les mains dans le cambouis, et les oreilles brisées par le bruit permanent des moteurs.
     Crime contre l’humanité : 48h de travail par semaine. Autre crime contre l’humanité : son chef d’atelier se prénommait Miloud (très important : à souligner dans son dossier d’accusation). Son dernier crime contre l’humanité : il mourut de tuberculose et un peu d’épuisement lorsque j’ai eu quinze ans. Il en avait cinquante trois ; il en paraissait soixante-dix. Quelle barbarie…
     Sans doute enrichie dans le commerce des esclaves, ma mère put ensuite acheter une gigantesque épicerie de 16 m2. Sans doute encore pour humilier un peu plus ses nombreux clients musulmans, elle ne baissait son rideau qu’entre 21 et 22h, été comme hiver. Quelle horreur, quelle barbarie, devez-vous penser avec raison ! Mais elle ne s’en tint pas là, elle aussi ayant l’âme d’une grande criminelle contre l’humanité, elle laissa piller notre magasin et échappa de justesse à une (juste) mort ; C’était fin juin 62.
    Quelques jours plus tard, elle échappait de nouveau à une seconde (juste) mort : le 5 juillet 62, jour de justice comme vous devez les apprécier sans doute, où un petit millier d’autres Français d’Algérie, coupables d’une multitude de crimes contre l’humanité, furent enlevés et assassinés au hasard des rues. Mille morts…, hommes femmes enfants mêlés, c’est peu cher payé sur une population locale de plus de deux cent mille criminels contre l’humanité.
     Leurs dépouilles justement martyrisées furent jetées au lieu-dit du Petit-Lac à Oran. Mais foin de ces salauds, il est tout à fait compréhensible que vous ayez plutôt choisi de déposer une gerbe sur la tombe de Roger HANIN ; lui peut être exempté du chef d’accusation de crime contre l’humanité, puisque il eut la bonne idée de définitivement quitter son Alger natal dès 1951. C’est sûrement pour cela que vous n’avez pu déposer la moindre fleur sur ce charnier d’Oran…
    Je suis à peu près certain que vous avez dû en débattre longuement avec vos honnêtes interlocuteurs du désormais provisoire gouvernement d’Alger. Et que vous avez sûrement obtenu d’eux la prochaine ouverture des archives algériennes toujours inaccessibles.
     Mais non, c’est idiot, surtout pas ! Sans doute ces dignes personnages craindraient-ils d’aggraver notre cas devant votre tribunal. Ah, les braves gens…
     Revenons aux barbares et autres criminels de ma famille. Mon grand-père, né en 1875 à Tlemcen, qui assouvit ses pulsions morbides et racistes en posant les voies du chemin de fer d’Algérie (CFA) durant plus de vingt ans.
     Mon arrière grand-père né en 1852, qui connut lui aussi une dure vie criminelle de forgeron maréchal-ferrant. Selon les souvenirs trafiqués de mon odieuse famille, il mourut d’ailleurs des suites d’un mauvais coup de pied de cheval. Pas si bête la bête, déjà un criminel contre l’humanité en moins.
     Le grand-père du grand-père enfin. Celui-là, on ignore presque tout de sa vie ; il parait qu’il ne savait pas écrire. Bien fait pour ce tout premier criminel amené à sévir en cette pacifique et paisible terre algérienne !
     Né en 1820 en Pologne, et sans doute avide de débuter une longue carrière de crimes contre l’humanité, il fuit Lwow et ses réguliers pogroms, traversa l’Europe à pied à 20 ans, et se retrouva deux ou trois ans plus tard dans une immonde cahute de torchis près de Tlemcen.
     Esclavagiste dans l’âme, il parvint très vite cependant à nourrir une belle engeance de futurs criminels colonialistes. C’est lui la source originelle de mon épouvantable lignée d’ancêtres, et dont la belle carrière criminelle a dû servir de modèle à tous les Himmler de l’Allemagne nazie.
     Ce dossier est bien long ; vous m’en excuserez. Mais votre acte d’accusation doit être circonstancié et précis. J’espère y avoir contribué.
     A quand les débuts de cet immense procès qui devrait éclipser son modeste précédent de Nuremberg ? Je compte sur vous pour y tenir la digne et haute fonction de procureur général (Président de la République Procureur Général, pas mal comme titre…), mais connaissant votre calme, votre sagesse d’orateur et vos grandes capacités de saine réflexion, vous n’aurez aucune peine à surpasser la pourtant belle performance de M. Robert Houghwout Jackson.
     Quand les sbires de votre future police viendront m’arrêter, prévenez-les quand même que je suis prêt à signer tous les aveux qu’ils voudront. Et que je suis même volontaire pour témoigner contre tous ces fichus Pieds-noirs que je n’ai même pas connus.
     Barbare émérite, criminel contre l’humanité moi-même, je sais de quoi, dès le berceau, ce million de criminels était capable, et jusqu’à la valise ou au cercueil…
     Permettez-moi pour finir de souligner respectueusement une terrible fausse manœuvre de votre part : redire à des Pieds-noirs pensant les séduire « Je vous ai compris », cela m’a laissé pantois. Là, vous m’avez déçu. Je suis à peu près certain que cette bande de salopards criminels (dont je suis) va vous en vouloir longtemps.
     De plus, la citation est douteuse dans sa portée. N’est-ce pas Alain DUHAMEL qui, en décembre 2009, qualifia le Général auteur de cette funeste phrase, de plus grand traître de l’histoire de la France moderne ? Justement pour cette phrase de juin 1958, et son comportement ultérieur en Algérie.
     Mais ce grand homme reste bien excusable, lui qui savait déjà l’emprise qu’exerçait sur ce malheureux pays notre innommable bande de barbares et de criminels contre l’humanité…
    Le réquisitoire . Au moment des fêtes pascales communes aux juifs et aux chrétiens, nos quartiers populaires et néanmoins criminels devenaient le lieu d’un échange qui incluait également la communauté musulmane : pendant quelques jours s’offraient triangulairement mounas, zlabias, makrouds et autres galettes azymes.
     Grâce à votre révélation, je me demande maintenant si ma mère n’enrichissait pas sa production de quelques pincées de poudre de zyklon B. J’ai maintenant un doute…
     Second détail : Toujours très barbares, les vieux criminels contre l’humanité ont pris l’habitude de retourner de temps en temps en Algérie sur les lieux de leur enfance et de leurs innombrables crimes. Et comme vous le devinez sans doute, ils sont toujours plus que chaleureusement accueillis par leurs vieilles victimes. C’est tellement évident et logique, n’est-ce pas ?
     Qui dois-je saluer ? Le Procureur ou le futur Président de la République ? Dans le doute,je saluerai les deux hautes fonctions.

    Gérard ROSENZWEIG
     5° génération, dont quatre nées en Algérie.
     Toutes les cinq Algérie-Française sans le moindre scrupule.

  • Commentaires

    1
    Vendredi 22 Novembre 2019 à 11:29

    Que Macron sache bien que « Les Algériens vivent dans une ville Française »

    2
    fripouille
    Vendredi 23 Octobre 2020 à 11:59

    Instructive et intéressante mise au point !

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