• De Gaulle et les communistes

    De Gaulle et les communistes

    logo


    La Clé de la révolution gaulliste, c'est la connivence secrète de De Gaulle et des Communistes. De Gaulle a joué Moscou pour accéder au pouvoir; les Communistes ont joué De Gaulle pour se dédouaner et se faire réhabiliter devant l'opinion politique française. Lui et eux se sont momentanément soutenus avec i'arrière-pensée de se détruire mutuellement. La réussite d'un coup de force gaulliste eût amené l'incarcération immédiate des députés communistes; une prise de position par les Communistes provoquerait la mise en accusation de De Gaulle, de Passy, de Palewski. Les deux partis se sont entendus momentanément pour enterrer la République : De Gaulle, rêvant d'y substituer une démocratie présidentielle à la mode américaine qui eut fait de lui le Chef tout-puissant de l'exécutif; les Communistes avec l'espoir d'y substituer une Convention, un Soviet suprême concentrant tous les pouvoirs, avec un exécutif absolument subordonné. Avec l'ancienne Constitution, De Gaulle eût été élu Président de la République pour sept ans. Avec l'Assemblée Constituante, il s'est trouvé en présence d'un projet de constitution élaboré uniquement en défiance de lui et pour le réduire à l'impuissance.

    Il a préféré laisser croire qu'il se désistait volontairement pour éviter d'être légalement évincé, victime de son propre stratagème.

    De tempérament, de conviction, de vocation, de classe et de caste, le général De Gaulle et profondément anticommuniste. Et, cependant il a manoeuvré de telle façon qu'il a fait, au bout d'une année, du parti Communiste le parti le plus homogène, le plus compact de l'Assemblée. Se donnant à ses partisans comme violemment anticommunistes, il a fait le lit du communisme dans son propre pays. Comment expliquer un tel paradoxe ?

    Ce paradoxe est dû à l'illogisme de base qui a présidé à son avènement au pouvoir et expédients auxquels il n'a cessé d'avoir recours pour y parvenir de gré ou de force.

    Le Chef des Français libres, dès novembre 1940, en se proclamant Chef de l'Etat français, a contesté ainsi la légitimité du Gouvernement de Vichy. En condamnant en bloc l'administration de Vichy comme illégale, et, par suite, comme coupable d'intelligence avec l'ennemi; en la liquidant sommairement lors de la libération; en laissant planer le discrédit sur toute une classe, la bourgeoisie, soupçonnée d'avoir adhérer, en tant que telle, à la politique de collaboration du Maréchal, en laissant sa presse mener une guerre sourde contre le parti radical et son chef dont il redoutait la concurrence, Edouard Herriot, représenté tour à tour, comme défunt, malade, insane ou désuet, le général De Gaulle a créé un vide que sont tout naturellement venues combler les parties extrêmes se réclamant de la Résistance. Il a consenti que l'épuration se fasse, non pas sur la question de savoir dans quelle mesure tel ministre, tel administrateur, tel fonctionnaire avait protégé ou desservi le peuple français pendant l'occupation, mais sur la question de. principe d'avoir été ou non en rapport avec l'ennemi, ce que la symbiose avec l'occupant rendait inévitable pour toute personne chargée de fonctions publiques. Cette façon de poser le problème est illogique, ainsi que l'a déclaré Laval devant ses juges : « M. Churchill dit : Je mettrai l'Europe en état de révolte. » Voilà tout le problème et voilà tout le procès : le Gouvernement devait-il accepter l'armistice et continuer à vivre pendant quatre ans; ou bien devait-il, pour hâter la victoire et la libération de la France , accepter de jeter le pays dans le désordre, dans la misère, dans l'anarchie, sans administration, sans cadre, sans rien ?

    Voilà tout le problème. En répondant par une fin de non-recevoir au problème ainsi posé, en liquidant l'administration de Vichy, en discréditant la bourgeoisie, en frappant d'inéligibi-lité les anciens parlementaires, en disqualifiant les anciens ministres, en vouant le parti radical-socialiste et son chef, Edouard Herriot, à l'impuissance, De Gaulle a fait place nette pour le communisme.

    Parce que ni Londres, ni Washington ne voulaient le reconnaître comme Chef d'Etat - avant que le peuple Français ne se fût prononcé en toute connaissance de cause - De Gaulle, dès mars 1942, s'est tourné vers Moscou, puis vers les Communistes français. C'est Moscou, au moment où les Anglo-Saxons redoutaient une paix séparée entre L'Union soviétique et l'Allemagne, qui a contraint le président Roosevelt et M. Churchill à laisser venir à contre-coeur De Gaulle en Algérie, et De Gaulle a exprimé sa reconnaissance dans son discours de Tunis à « la chère et puissante Russie ». A partir de l'été 1942, par suite de l'envoi des ouvriers en Allemagne, les Communistes ont pris une part de plus en plus active dans le maquis. Dès le mois de mars 1942, il a reçu à Londres M. Christian Pineau et le lieutenant-colonel François Faure qui sont venus lui apporter les propositions du Parti communiste de joindre son action à la sienne. Au début de 1943, il a précisé à M. Grenier, représentant du Parti communiste qu'il s'agissait de faire «un bout de chemin ensemble».

    Lorsqu'il s'est cru, en Alger, en danger d'être supplanté par Giraud, il a franchi le Rubicon. Il a conclu avec les communistes un pacte infernal qui leur assurait la direction politique de la Résistance. Il a enchaîné à leur char, en leur conférant le prestige de son nom, les autres organisations, les autres partis de la Résistance. Il a accepté de se faire l'instrument de leur vengeance, en commençant par leur abandonner la tête de Pucheu. Il leur a livré discrétionnairement l'honneur, la liberté et la vie de leurs adversaires politiques, en vertu de cette monstruosité juridique, qu'il avait proclamée dès novembre 1940 à Brazzaville, à savoir que le gouvernement du Maréchal n'existait pas.

    Pour complaire à ses nouveaux compagnons de route, il a fait litière de ses plus solennelles promesses de rétablir la légitimité républicaine, en appliquant la loi Tréveneuc.

    Il a accepté de renverser les barrières qui auraient pu endiguer le flot moscoutaire : La Présidence de la République et le Sénat.

    Il s'est engagé d'un coeur léger dans 1 es réformes de structure, sans se soucier de savoir si elles étaient compatibles avec la stabilité monétaire, la restauration du crédit, la reprise économique, le soutien des Etats-Unis, et en les» faisant passer avant les questions primordiales telles que le ravitaillement du pays.

    Enfin, dans la corbeille de noces de ses épousailles avec Moscou il a mis un nouveau cadeau. Le Parti communiste acceptait de reconnaître De Gaulle comme chef de la Résistance, à condition de laisser revenir Maurice Thorez en l'exonérant de toute charge, en dépit de sa condamnation par contumace. Le même jour vit un avion déposer De Gaulle à Moscou et Maurice Thorez à Paris. L'un s'avançait au bord de la Roche Tarpéienne l'autre gravissait le Capitole. De Gaulle qui allait laisser emprisonner tous les amiraux, sauf deux, la plupart des généraux Maxime Weygand y comprit, d'excellents serviteurs de la patrie française, tels que Jérôme Carcopino et Robert Gibrat; des «résistants » émérites, tels Lemaigre et Rigault, allait proclamer à la face du pays, Maurice Thorez « bon français »; Maurice Thorez, déchu de son mandat de député par un Parlement régulier et condamné par contumace comme déserteur par un tribunal militaire;

    Thorez qui, sous le titre de « Maurice Thorez vous parle », déclarait dans L'Humanité clandestine du 7 novembre 1939 : « Les forces de réaction en France expriment la même fureur devant la dénonciation que nous avons faite des buts impérialistes imposés au peuple français. Des hommes ont été tués et on se prépare à en faire tuer davantage pour la défense des coffre-forts des capitalistes. »

    Thorez qui, dans la même feuille clandestine, écrivait en collaboration avec Jacques Duclos, le 18 mars 1941 : « Le mouvement des De Gaulle et des de Larminat, foncièrement réactionnaires et antidémocratiques, ne vise à rien d'autre, lui aussi, qu'à priver le pays de toute liberté en cas d'une victoire anglaise .»

    Paris libéré, M. Winston Churchill et M. Eden s'y précipitent pour tâcher de conclure un pacte franco-anglais, dans l'euphorie du moment. C'est en s'envolant à Moscou que Charles De Gaulle leur répond et en signant un pacte franco-russe. Au lieu de dire aux Alliés qui venaient avec l'aide de la Résistance de libérer la Patrie : « Si vous ne consentez pas à nos justes revendications, en ce qui concerne la sécurité permanente de la France, j'irai à Moscou .»

    Le Général a brûlé de suite ses cartouches, parce qu'il avait obligation de le faire et le pacte de vingt ans qu'il a rapporté de son voyage en Russie n'a servi que de monnaie d'échange à Staline au cours des négociations de Yalta. M.Molotov, à Londres s'est chargé de montrer de combien peu la sauvegarde de l'amitié française pesait sur l'échiquier politique de Moscou.

    Pareillement, à l'égard des Communistes français, le Général a pratiqué la politique de la main tendue, et même de la main serrée. A Alger, il leur a livré la tête de Pucheu. Il a laissé revenir en avion Thorez de Moscou, lui a rendu sa nationalité, l'a exonéré de tout chef d'accusation, l'a proclamé « grand Français », lui a cédé la radio nationale, persuadé qu'il faisait ainsi du parti communiste un parti de soutien de son gouvernement. Fort du brevet de patriotisme ainsi conféré par le Chef de la Résistance, grâce aux milliards saisis dans les dépôts des banques de province ou aux particuliers par ses partisans, Thorez a su faire de son parti le plus puissant et le plus discipliné de l'Assemblée. Ayant pris conscience de sa force, il s'est retourné contre le Général auquel il devait, en dépit de la loi, son retour à la vie publique et il a ouvert le conflit entre le Président intérimaire de l'Exécutif et l'Assemblée. Dans ma lettre du 18 mars 1944, j'écrivais au général De Gaulle « La logique française comprend mal que vous frappiez d'inéligi-bilité et de déchéance les Parlementaires qui ont voté le pouvoir constituant à Pétain alors que vous réhabilitez et déclarez bon citoyen Thorez, qui fut invalidé par un vote du Parlement régulier et condamné pour désertion par un Tribunal militaire. »

    Certes, les Communistes ont eu leur martyrologe; mais leurs martyrs, comme Péri moururent pour la cause et la patrie communistes, dont la Jérusalem est à Moscou , tout comme les premiers Chrétiens mouraient pour leur foi en la Cité de Dieu. Il ne venait pas à l'idée de ceux-ci de prétendre qu'ils entraient dans l'arène sanglante pour assurer le salut de l'Empire. L'héroïsme de maints communistes commande le respect et ne doit pas être contesté : il n'empêche que, jusqu'en juin 1941, les Communistes furent les collaborateurs N° 1. (Kenneth de Courcy, dans Review of World Affairs de novembre 1945, révèle un document qui en dit long à ce sujet : c'est le projet d'un traité d'alliance entre le Reich et un gouvernement communiste qui devait être instauré à Paris fin 1940 sous la présidence de Thorez, avec l'approbation des chefs communistes français et de Staline !

    Un principe de droit pénal veut que, dans tout pays civilisé, il soit interdit d'amnistier un condamné par contumace. Tout condamné par contumace doit, en rentrant dans sa patrie, comparaître devant un tribunal pour se justifier. En faveur de Thorez, le général De Gaulle a violé la loi. Il apprend, aujourd'hui, ce qu'il lui en coûte d'avoir eu, dans l'administration de la justice, deux poids et deux mesures, car, plus il frappait les Vichyssois, plus il était fondé à dire : « En vertu de la même inexorable justice et de la même inexorable logique, je demande aussi des comptes aux collaborateurs communistes. » Il ne l'a pas fait, et il s'est mis, lui qui prétendait être le restaurateur des moeurs démocratiques, dans l'obligation d'être le Kérensky du régime qui risque d'enterrer la troisième et la quatrième républiques dans le linceul pourpre des libertés civiques, politiques, économiques, brimées, mutilées, et peut-être, demain assassinées.

    « Charles De Gaulle n'a qu'à s'en prendre à lui-même », écrit Kenneth de Courcy dans le numéro de février 1946 de sa Revue.

    « Il a emprisonné ou discrédité presque tous les leaders conservateurs et libéraux qui auraient pu avoir une influence décisive dans cette crise. Pour la plupart, il les a emprisonnés, défrancisés sans accusations ni jugement, en contrepartie des obligations qu'il avait contractées en 1942 à Londres, puis en Afrique du Nord. Maintenant, les Communistes se sont retournés contre De Gaulle. Telle est la cause réelle de sa chute .»

    Louis Rougier
    « Bilan du gaullisme »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :