« Je croyais qu’il avait eu un accident de tracteur. » Christiane Simon répète cette phrase souvent. Son mari, Jean-Christophe, venait d’avoir 50 ans. Il a décidé d’en finir avec la vie. Sa vie d’agriculteur, « il l’avait choisie. Enfant d’agriculteur, c’était un sillon tout tracé. »

Christiane a besoin de raconter. Son mari s’est donné la mort la semaine dernière. « Je n’ai rien vu venir », affirme-t-elle. Leur vie, ils l’ont passée à travailler.

Lorsqu’ils se sont mariés, le 31 décembre 1996, ils étaient pleins d’énergie, d’envies et de projets. « Avoir notre exploitation, c’était une évidence. » Avec son mari, ils ont acquis la ferme, à Mecé, entre Fougères et Vitré, où leur vie a basculé. « Ça a toujours été difficile. Mais dans ce métier nous sommes habitués à travailler dur. »

Les dettes s’accumulent

Cette femme dynamique est debout à 4 h pour livrer les journaux. « Ça nous aide à vivre », car les dettes s’accumulent et l’argent ne rentre pas. Ensuite, elle « s’occupe des veaux et revient pour prendre un petit-déjeuner ». Il est 7 h, elle a déjà bien avancé sa journée quand d’autres se lèvent. Jean-Christophe pendant ce temps, s’affaire autour des vaches. « Cela fait bien longtemps que nous n’avions pas mangé ensemble. »

Leur vie était ainsi. Tous les jours dans la même galère, mais jamais ensemble. « Jean-Christophe c’était la bonté même, toujours prêt à donner un coup de main. Trop peut-être. » À tout moment il pouvait partir aider un voisin, un ami. « Une vache qui vêle, un tracteur en panne. Il répondait toujours présent. »

Cet été, il avait prêté un terrain à des jeunes pour faire une « rave ». Adrien et Lucile se souviennent. « Il nous a dit : je n’aime pas votre musique, mais j’aime les jeunes. » Il a aidé à l’organisation et fait la fête toute la nuit avec eux. Christiane confirme : « Il était heureux. »

Dans la pièce de vie de la ferme, l’agricultrice se tient droite au bout de la table. « C’est ma place, je ne sais pas pourquoi. » Proche du fourneau peut-être. Son regard se dirige souvent vers la droite « sa place » à lui. Celle de Jean-Christophe.

Depuis quelques mois, il avait lâché prise. « Il n’ouvrait plus les lettres. C’est lui qui s’occupait des papiers habituellement. » Parfois elle le lui faisait remarquer, alors « il s’emportait contre les quotas laitiers ». Christiane se taisait.

La cantine, une autre vie

Puisque tout était noir, elle a cherché du travail ailleurs. « À la cuisine d’une école à Fougères. Un vrai coup de pouce. Et une autre vie. » Un mi-temps en remplacement. « Jean-Christophe n’était pas content. Il avait peur de ne plus me voir. Mais de toute façon on n’était jamais ensemble. »

Alors le jour où c’est arrivé, « je n’avais pas imaginé, confie-t-elle. J’avais les journaux, la cantine, les veaux… Je croyais qu’il était parti aider quelqu’un. » Jean-Christophe était imprévisible.

Vers minuit, Christiane ne sent pas son mari dans le lit. « J’étais inquiète. Je pensais qu’il avait eu un accident. »

Un homme extrêmement apprécié

Au petit matin, Maurice Beaugendre, le maire vient à la ferme. Il trouve Jean-Christophe. « C’était un ami, un homme extrêmement apprécié dans la commune. Depuis quelque temps il était découragé. »

Lorsqu’à la cantine, son téléphone sonne, Christiane comprend que son mari n’a pas eu d’accident avec son tracteur. « Aujourd’hui, je dois accepter. Je veux changer de vie. Vendre la ferme et travailler ailleurs. Peut-être à l’école. Il faut continuer. » Elle ira aussi à la danse country, son « seul bol d’air » depuis neuf ans.

Pierrot, Angélique, les voisins, les amis sont là. « Il faut bien faire tourner la ferme. Les vaches ne s’arrêtent pas. » Jean-Christophe avait été si serviable que le retour est naturel. « Et on ne peut pas lâcher Christiane. »

Dans ce village, cet élan de générosité coule de source. Des jeunes, Adrien et ses amis ont lancé une cagnotte participative pour l’aider à payer les frais des obsèques. « Jean-Christophe nous a fait confiance. C’était comme un père. Nous devons aider sa femme. »

Christiane veut « se projeter ». Derrière ses lunettes rouges le regard est embué « c’était pas toujours facile, mais je l’aimais… »

 

Cagnotte participative : leetchi.com/c/obseques-de-jean-christophe-simon, le titre est Solidarités pour la femme d’un fermier en or.
 
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