Depuis plusieurs années, il m’arrive d’assister de temps en temps à des audiences du tribunal de Châteauroux. Y sont traitées de plus en plus souvent des violences psychologiques et physiques dont sont victimes les surveillants de la Centrale Pénitentiaire de Saint-Maur. La politique pénale qui depuis quelques décennies cherche à améliorer le confort et les conditions de détention de dangereux individus, de plus en plus nombreux, ne semble y parvenir qu’au détriment de la sécurité des gardiens.
Madame Taubira, VRP en chef de la lutte antiraciste et dernièrement engagée dans la lutte contre la criminalité écologique, oublierait-elle qu’elle est d’abord Garde des Sceaux et qu’à ce titre elle se devrait d’améliorer en priorité la sécurité du personnel dans les prisons? Plus on attend, plus le problème risque d’être ingérable et les surveillants donnent l’impression de tirer en vain la sonnette d’alarme.
Malheureusement, ils ne sont pas du côté de ceux qu’on écoute car eux ne cassent pas tout!
Mercredi 18 février dernier, 2 individus originaires de la Guadeloupe comparaissent au tribunal correctionnel de Châteauroux au motif d’injures, violences sur fonctionnaires, détérioration de cellules, de caméras, de matériels divers suite à une mutinerie, ayant eu lieu le 24 octobre 2014 à la Centrale de Saint-Maur et dont ils étaient les instigateurs, l’un en tant que meneur et l’autre en tant que « suiveur ».
Ce 24 octobre, les 2 mauvais larrons qui se trouvaient dans la salle d’activités du quartier d’isolement de la prison ont demandé à téléphoner. Quand 3 surveillants sont arrivés pour « obéir » à leur demande, ils avaient un pied de table métallique à la main qu’ils ont mis sous la gorge de l’un d’eux pour lui prendre ses clés… Ensuite, ils ont défoncé la porte de 6 cellules d’où sont sortis une dizaine de prisonniers. Ensemble, tout ce beau monde va ériger une barricade avec réfrigérateurs, tables, livres… et il y aura même un début de feu dans la salle d’activités avant que les forces spécialisées n’arrivent.
Le meneur, Bolivar, 28 ans, 14 mentions au casier judiciaire, a commencé son parcours de délinquance à Pointe-à-Pitre en 2003, puis on le retrouve à Basse-Terre pour vols, usage de stupéfiants, outrages, violences… passage en Cour d’Assises en 2009 pour tentative d’homicide où il se verra attribuer 12 ans de prison…Il repassera par le tribunal en 2011 à Meaux, en 2013 à Troyes pour violences envers le personnel de surveillance.
Il devait sortir en (2009+12=2021)… 2018! Une année de prison étant plus courte qu’une année au calendrier.
Le suiveur, Sophie, 26 ans, 9 mentions au casier pour vols, conduite sans permis, usage de stupéfiants, agressions, recel de biens, falsification de chèques… puis passage en Cour d’Assises pour meurtre où il écope 15 ans de prison et à nouveau un peu plus pour meurtre de son co-détenu.
Il devait sortir en 2039…
Comme on le voit, ces 2 là, malgré leur jeune âge, sont porteurs d’un lourd potentiel de malfaisance…
Bolivar dit qu’il a « pété les plombs »:
-parce qu’il n’a pas pu appeler sa mère hospitalisée quelque temps -parce qu’il voulait partir de Saint-Maur -parce qu’il voulait dénoncer le système carcéral -parce qu’il voulait faire un coup d’éclat pour que les ERIS interviennent. Il se justifie en disant que les surveillants de par leur action actuelle concernant leurs mauvaises conditions de travail l’auraient même excité à agir ainsi.
Sophie, en préambule accepte de répondre aux questions du Président du tribunal si ce ne sont pas des « conneries » (sic). Il dit qu’il a participé aux faits pour se rebeller contre le système de « merde »
(re-sic). « On m’a menti, on m’a trahi… je voulais sortir de l’isolement…la direction m’emmerdait… je voulais quitter cet enfer »…
Tout comme Bolivar, il dit qu’il a été motivé à agir ainsi par le personnel de surveillance. Il pensait en profitant de ce mouvement quitter Saint-Maur.
L’avocate des 3 surveillants insiste sur le fait que les condamnés jouent les victimes alors que les surveillants qui ne faisaient que leur travail ont été « menacés, violentés … »et ont subi un choc psychologique important.
La procureure demande de la sévérité concernant les 2 mutins qui « ont pris en otage des membres de l’autorité pénitentiaire », mutins révoltés qui ont obtenu leur transfert par un passage en force. Elle rappelle que certes, ils ont des droits, mais que s’ils étaient à l’isolement cela indique qu’ils n’étaient pas des détenus modèles. Elle dénie le fait qu’ils se posent en victimes car s’ils se trouvent à ce jour devant le tribunal c’est pour des faits graves. Elle dénonce des individus prêts à tout pour arriver à leurs fins. Elle dit que « la sanction doit être à la hauteur de la gravité des faits ». Elle demande pour Bolivar, meneur et en récidive légale, 7 ans de prison et pour Sophie 5 ans.
Julio Odetti, le jeune et talentueux avocat des détenus, joue sur le registre de la victimisation de ses clients en essayant de charger par ailleurs l’administration: et ça marche puisque Bolivar en prend seulement pour 3 ans et Sophie 2 ans! Un verdict tout en mansuétude donc!
Résumé de la plaidoirie de maître Odetti:
Il commence par poser une question: « Quelle possibilité a un détenu pour manifester sa réprobation par rapport au système carcéral et ses conditions? »
Ensuite il décrit les prisons françaises comme une humiliation de la République française:
-à cause du surnombre de la population carcérale, des conditions d’hygiène en évoquant la présence de rats dans certaines prisons du sud de la France -à cause du nombre des suicides des détenus: 30 sur 1000.
Il fait remarquer:
– qu’il y a eu faute de l’administration car Sophie n’aurait pas dû se trouver en salle d’activités puisqu’il était à l’isolement complet
– que l’objectif des 2 détenus n’était pas de s’en prendre aux surveillants…
Il termine par une autre question: « Est-ce que la priorité n’est pas de détenir convenablement les détenus? »
Remarques personnelles suite à certains arguments de la défense:
D’abord, la Centrale de Saint-Maur qui date de 1975 n’est pas une prison insalubre, donc l’argument du mauvais état sanitaire ne peut être reconnu comme motif justifiant la colère des détenus.
Ce n’est pas une prison en surpopulation de détenus : 206 détenus pour 260 places!
Ce n’est pas un vase clos puisque de nombreux intervenants y pénètrent sur le plan éducatif, culturel, formation professionnelle (avec rémunération des détenus)…il y a des espaces verts où se pratique le jardinage… une bibliothèque…les détenus ont la possibilité de sortir de leur cellules plusieurs heures par jour ou pas selon leur désir…ils sont visités par les familles aidées pour être accueillies et hébergées…Il y a peu ils ont eu droit à une conférence-débat de philosophie… actuellement les peintures de 11 détenus sont exposées au Musée Saint Roch à Issoudun…il y a quelques années un film subventionné par le ministère de l’Education Nationale avait été réalisé à Saint-Maur montrant une pratique musicale à l’intérieur de la prison…
Il semble injuste d’accuser l’administration en disant que si Sophie avait été à l’isolement complet il n’aurait pas eu la possibilité de fauter ce 24 octobre 2014: on a essayé d’être humain avec lui (n’est-ce pas respecter le refrain à la mode: humaniser les prisons!) en lui faisant confiance en le sortant de son isolement. Mais lui, n’a guère été reconnaissant et il ose dire qu’on « l’a mis en esclavage » en lui offrant un poste qu’il ne reconnaît pas de « confiance »!(Monsieur aurait voulu sûrement un poste répondant exactement à la mesure de ses grandes capacités!).
Certes les 2 détenus ont rappelé à plusieurs reprises qu’ils ne voulaient pas faire de mal aux gardiens, n’empêche que ceux-ci ont été psychologiquement très marqués avec des troubles du sommeil importants et ont eu un arrêt de travail (1 mois d’incapacité de travail pour l’un et plus d’une semaine pour les 2 autres) et on imagine la joie de retrouver ensuite leur poste!
Il n’en reste que la motivation principale de ces 2 énergumènes c’était d’obtenir un transfert vers une autre centrale pour partir de Saint-Maur; ça été chose faite tout de suite après leur mutinerie. Il suffisait d’agir pour avoir, rien de plus simple!
Pas étonnant que dans les prisons il y ait de plus en plus de mutineries, de prises d’otage, de violences de toutes sortes quand les désirs des délinquants lourds sont des ordres. Et les surveillants en première ligne sont eux de plus en plus à la peine: injures, blessures physiques et psychologiques et de nombreux suicides parmi cette profession: 31% de suicides de plus que dans la population normale. Et injustement, on a tendance à ne voir que les suicides des détenus.
Les faits que j’ai évoqués présentement remontent à octobre. Peu de temps avant, à la mi-septembre dans le même lieu un détenu condamné pour un homicide sordide a tenté d’étrangler un surveillant et de le blesser avec un stylo à bille muni d’un clou…un mois plus tard un autre surveillant « recevra un violent coup au visage avec un stylo à bille prolongé d’une lime à ongles, qui est restée plantée dans l’os ». Là encore, cet abject individu se présentera en victime au tribunal. (article NR: Agression de 2 surveillants: 4 ans de prison).
Plus récemment, le 22/3/2015, un détenu a menacé des surveillants « avec une plaque chauffante allumée et a jeté divers ustensiles ». Avec une paire de ciseaux à bouts ronds, il a frappé un surveillant à la tête et un autre la nuque, en plus il a tenté d’enfoncer avec son pouce l’oeil d’un des surveillants blessés…
Le 26/3/2015, déploiement de force puisque les ERIS et le RAID sont intervenus: un surveillant a été pris en otage par 2 détenus qui voulaient parler à la direction pour obtenir … leur transfert…le surveillant a été relâché au bout de 6 heures.
Le statut d’un des 2 détenus avaient été allégé quelques semaines avant pour qu’il ait plus « d’autonomie »!
Si ce n’était qu’à la centrale de Saint-Maur que de tels évènements violents se produisaient, on pourrait n’y voir là qu’un hasard ou une mauvaise pratique de gestion propre au lieu, mais cela se produit aussi de plus en plus dans d’autres centrales et prisons. Pour citer les cas les plus récents où ça a bougé, on peut mentionner: Ensisheim, Blois, Bourg-en-Bresse, Châteaudun, Toulouse, Bois-d’Arcy, Moulins, Condé-Sur-Sarthe…
Ces lieux dont certains sont récents et sont loin d’être des taudis inhumains…
Ce n’est pas toujours la surpopulation carcérale qui puisse être mise en cause…
A Saint- Maur, il y a environ 275 personnels pénitentiaires dont 245 de surveillance.
Alors peut-on vraiment parler d’un sous-effectif de surveillants?
Non, par rapport au nombre des détenus, mais oui par rapport au nombre de détenus de plus en plus violents, exigeants: ils n’aiment pas la « cantine », les surveillants, la direction, les lieux, les activités, les fouilles (pourtant assouplies depuis 2009)…ils demandent très souvent des transferts pour être plus près de leurs familles ou parce que la tête de certains détenus, personnels, direction ne correspond pas aux attentes de leur propre personnalité égocentrique: c’est une constante dont on peut avoir connaissance en les voyant les uns et les autres se présenter dans le box des accusés.
Les surveillants souvent n’en peuvent plus, et eux, on peut aisément les comprendre par rapport à ce qu’ils doivent endurer chaque jour, dans un climat de tension continuelle où à chaque instant ils peuvent être insultés, violentés, blessés… Leur mouvement de protestation est donc légitime, mais on ne veut pas les entendre, la victimisation n’a pas cours de leur côté!
Quand ils peuvent s’exprimer, on les entend souvent évoquer:
-le laxisme « chronique » de l’administration qui aurait tendance à « donner trop aux prisonniers » et à répondre à leurs « caprices ». (Allo, docteur Taubira est-ce que vous entendez? L’administration c’est vous qui la pilotez, c’est à vous de lui tracer le bon cap!) -les problèmes psychiatriques des détenus. Un délégué syndical a déclaré: « La prison est devenue une succursale des hôpitaux psychiatriques ». (Mon pauvre monsieur, la raison est surtout d’ordre pragmatique: la journée en hôpital psychiatrique coûte plus cher que la journée de prison qui n’est déjà pas donnée!) .
-le fléau engendré par l’introduction d’objets interdits au cours des parloirs qui bien souvent se retournent contre eux. (Les fouilles c’est trop traumatisant pour les détenus; pourtant il faudra peut-être y revenir! Voir un article du 13/6/2014: « Demande du retour des fouilles systématiques à la Centrale pénitentiaire de Lannemezan ») -le manque d’effectifs qui ne paraît pas devoir se résorber dans la mesure où il faut toujours plus de gardiens puisqu’il y a de plus en plus de détenus et que ceux-ci sont de plus en plus violents (perspective d’autant plus inquiétante que le recrutement et la fidélisation des personnels de surveillance pose problème car si le nombre des candidats reste élevé, le nombre des candidats ayant les qualités requises n’est pas toujours suffisant pour répondre aux besoins)
Le triste individu Sophie parlait de Saint-Maur comme d’un enfer, or l’enfer à proprement parler c’est un lieu d’expiation pour les fautes commises, donc ça n’a pas à être le paradis!
Françoise Lerat